Comité “Ecole de la rue Tlemcen”
Jo Nisenman
“...je pense notamment à mon arrivée à Pithiviers, en juillet 42 : j’ai 18 ans et viens d’être arrêté près de Bourges sur la ligne de démarcation ; je trouve alors dans ce camp tous ces enfants victimes de la rafle du Vel’ d’hiv, déjà séparés de leurs parents, vivant dans des conditions d’hygiène épouvantables ; et parmi eux je trouve ma petite soeur de 10 ans , une cousine, des cousins… ils croyaient que je venais les libérer… comme les autres ils se retrouveront dans les wagons à bestiaux en direction d’Auschwitz… Tout cela fait que j’hésite à en parler à ces jeunes, mais ce qui me pousse c’est ce sentiment « qu’on leur doit bien ça, à ces enfants déportés ». Et puis, la grande satisfaction, c’est de voir ces jeunes d’aujourd’hui, pas toujours faciles, calmes, attentifs, totalement à l’écoute : on sent qu’ils ne sont pas insensibles à ce témoignage et qu’il en restera quelque chose… Certes, ce que je raconte est tellement dur, c’est comme une flèche au coeur que je leur envoie, qu’ils réagissent peu tout de suite après, ils posent peu de questions, mais je sais par les enseignants qu’après ils en reparlent, qu’ils y réfléchissent...”
Témoignages (extraits)
Léon Zyguel
“... Avec ma soeur et mes frères , nous avons été arrêtés par la gendarmerie allemande dans la région de Mont-de-Marsan; emprisonnés puis remis à la police française, nous avons été internés au camp de Mérignac, près de Bordeaux. Le Secrétaire Général de la Gironde chargé des Affaires Juives, c’était Maurice Papon. Mes deux frères craignant la déportation ont tenté l’évasion, moi, je me croyais protégé par mon jeune âge. Marcel a réussi; Maurice, repris, fut placé dans la baraque des otages. Et puis, ce fut le convoi du 26 août 1942. Il semble que je sois le dernier survivant de ce convoi qui a été retenu comme élément à charge contre Papon. J’ai donc été entendu par la Chambre d’accusation. Papon, qui possédait la liste de 80 enfants placés chez des familles d’accueil - leurs parents ayant été déportés depuis plusieurs semaines - les a fait rassembler ce jour-là, secrètement, hors du camp; puis leur wagon fut rattaché à notre convoi qui partait pour Drancy. Ces enfants avaient tous moins de 15ans, le plus jeune avait 12 mois. Papon aurait pu faire le choix «d’oublier» cette liste; au contraire, il a agi avec un zèle coupable et selon des convictions antisémites flagrantes...”
Rachel Jedinak
“... A l’aube, des grands coups frappés à la porte de nos grands-parents : deux policiers, l’un en uniforme, l’autre en civil nous intiment l’ordre de les suivre pour rejoindre notre mère. Chemin faisant, ils nous disent : « Vous pouvez remercier votre concierge, c’est elle qui nous a dit où vous étiez. » Puis on nous emmène toutes les trois jusqu’au centre de rassemblement de la rue Boyer, dans le 20ème arrondissement, à « La Bellevilloise ». Nous sommes nombreux, serrés les uns contre les autres. Ma mère, à ce moment, n’a qu’une idée en tête, nous voir fuir… Elle ne cesse de dire aux autres femmes : « non, on ne part pas pour travailler en Allemagne, on ne peut pas travailler avec de petits enfants ». A ce moment une voisine s’approche de ma mère et lui dit : « Léa, ma fille (une adolescente) vient de s’enfuir par une issue de secours ». Ma mère nous donne l’ordre d’en faire autant, de retourner chez nos grands-parents ; moi je ne veux pas, j’ai 8 ans, je m’accroche à sa jupe. Alors ma mère nous gifle pour nous obliger à réagir. A ce moment, je n’ai pas compris que c’était un acte d’amour et de déchirement pour elle…”
Etienne Raczymow
“En 1939, à la déclaration de guerre, mon père, comme la plupart des autres pères étrangers, s’est engagé comme volontaire pour défendre le pays qui l’avait accueilli. En 1940 ce furent l’occupation allemande et l’instauration des premières lois anti-juives. Les autorités françaises apposèrent le tampon « juif » sur nos papiers d’identité. L’année suivante on vit à Paris les premières rafles de Juifs. Ma mère me donna un peu d’argent pour rejoindre Lyon en zone non occupée. En 1943, je retrouve à Grenoble des camarades de l’école Ramponeau dont Jacob Szmulewicz. C’est ainsi que j’ai intégré les F.T.P. de la M.O.I. dans le détachement « Liberté ». Ce détachement accomplit près d’une centaine de déraillements. Avec mes camarades de l’école Ramponeau (Pessac, Szmulewicz, Landowicz, Serge Lebel et moi-même), nous avons effectué des missions importantes dont, à l’aide de trente bombes, la destruction d’une usine qui travaillait pour les Allemands. Nous avons exécuté trois agents de la Gestapo. Nous avons connu des accrochages sévères avec la police ou avec les Feldgendarmes : deux camarades de l’école Ramponeau furent blessés lors d’une action avec la Feldgendarmerie, Serge Lebel à la jambe et Robert Pessac à la poitrine. Notre camarade Guy Landowicz fut arrêté et fusillé. Dans tout le quartier de Belleville-Ménilmontant, on compta une vingtaine de fusillés dont Henri Bekerman qui avait 20 ans et avait été élève rue Ramponeau. Certains furent déportés, tel notre ami Charles Palant, heureusement revenu des camps et qui fut l’un des fondateurs du M.R.A.P.“
Régine Lippe
“En 1942, l’année de la grande rafle, je n’avais que 4 ans et demi, âge où, normalement, l’on n’a pas encore de souvenirs. Et pourtant, je me souviens très bien d’un de mes oncles, Jean (arrêté début 1942 et déporté à 26 ans, le 22 juin 42, par le convoi N°3) qui m’avait offert une magnifique poupée « Bella » qui disait « Maman » . Ma mère l’avait trouvée trop belle pour une petite fille de 3 ans et l’avait posée sur le haut de l’armoire, où elle attendait que je grandisse. Ce sont les Allemands qui l’ont prise. J’étais une petite fille juive. Mes grands-parents maternels étaient arrivés de Pologne en 1920 avec ma maman et ses trois petits frères. Ils avaient choisi la France, pays des Droits de l’Homme, pays qu’ils aimaient parce que les pauvres pouvaient y réussir, grâce à leur travail et que leurs enfants pouvaient y devenir « quelqu’un » grâce à l’école… Mon père, lui, était venu de Varsovie, à 17 ans, pour rejoindre son frère déjà à Paris. Il devint tailleur fourreur de luxe et travaillait pour les grands couturiers. Nous vivions heureux, dans un appartement mixte (logement et atelier) dans le 10ème arrondissement jusqu’à la déclaration des lois anti-juives. “
Michel Gavériaux
“Le 20ème, c’était un ensemble de quartiers très populaires, d’ouvriers, d’artisans, de petits commerçants, de gens simples … Il y avait dans ma classe, parmi mes petits copains, des enfants qui étaient de toutes origines - Polonais, Italiens, Russes, Belge, Hongrois, etc… - et puis aussi des Espagnols qui s’étaient réfugiés en France, car il y avait une terrible guerre civile chez eux à ce moment-là...
...en 1942, le 16 juillet, un jour d’été où il faisait très beau et chaud, je suis sorti dans la rue où j’habitais, vers huit heures et demi le matin, et je me suis vite rendu compte qu’il y avait une animation anormale. On voyait des escouades d’agents de police et des inspecteurs qui entraient dans les maisons et qui ressortaient un quart d’heure/vingt minutes plus tard, avec des familles juives avec leurs enfants, qui avaient quelques bagages, et qui les accompagnaient jusqu’à l’avenue Gambetta, où stationnaient des autobus en file l’un derrière l’autre, le long du square où j’avais l’habitude de jouer avec mes copains. J’ai vu ainsi partir mes copains Alfred et Marcel, qui habitaient au 15 rue Désirée, à cinquante mètres de chez moi, avec un petit baluchon, encadrés par des agents. Ils étaient tout honteux, et n’osaient même pas me regarder. Ils suivaient leurs mères qui portaient dans leurs bras leurs petits frères.”
Claire Cramer
“Je sors de ma maison et ferme la porte, il est 9 heures du matin, nous sommes le 28 mai 2002. Sur le trottoir d’en face, à quelques mètres, trois personnes regardent attentivement la façade de ma maison. Ils parlent à voix basse, leurs gestes semblent lents. Je marche vite, je descends la rue. Arrivée à l’angle, je me retourne et jette un coup d’oeil : deux femmes sont debout, droites, le dos au mur, de chaque côté de ma porte ; l’une doit avoir 70 ans, l’autre 40 ; un homme de 40 ans environ est sur le trottoir d’en face. Il les prend en photo. Ma façade est décrépie, elle s’effrite, elle a été jolie, construite en 1884 ; on perçoit encore les moulures anciennes au- dessus de la porte et des fenêtres. Le sérieux et l’intensité de leurs visages me font faire demi-tour. Je reviens sur mes pas ; la photo est finie, les deux femmes se rapprochent de l’homme. C’est la mère et la fille, lui le mari de la fille. Ai-je fait demi-tour au moment où ils se déplaçaient vers la façade pour encadrer la porte de leurs deux corps ou ont-ils fait la photo, après que nous nous soyons parlé ? Je ne me souviens plus. Une émotion intrigante m’a menée vers eux…Je les interroge du regard, leur demande s’ils veulent quelque chose. L’homme m’explique : il me présente sa femme et sa belle-mère ; ils habitent tous au Canada, lui seul parle français ; son beau- père est mort il y a un an. Quand ce dernier avait 17 ans, il habitait cette maison, avec son père, sa mère et ses trois frères et soeurs, jusqu’à la rafle du 16 juillet 42 quand sa famille a été raflée et déportée.”
Se souvenir pour construire l’avenir
Ils habitaient notre quartier…